Expliquer la résilience à l’autisme peut faire naître de nouvelles thérapies

By Thomas Bourgeron
18 January 2019 | 8 min read
illustration shows woman under umbrella, with genes falling around her

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Il y a quelques années la mère d’un jeune autiste m’a téléphoné. Elle venait d’apprendre que son fils, qui était dans la vingtaine, avait une délétion de SHANK3, l’un des gènes qui, d’après les découvertes de mon équipe, subit une mutation chez certaines personnes autistes. Cette nouvelle m’a surpris parce que j’avais déjà rencontré son fils et trouvé qu’il était beaucoup moins affecté que la plupart des porteurs de ce type de mutation. Il peut communiquer et fréquente une école ordinaire.

Elle m’a expliqué que depuis qu’il était bébé, elle avait tout essayé pour le stimuler. Mais si elle avait été au courant de cette mutation, m’a-t-elle avoué, « je ne me serais pas battue comme ça. Lutter contre le génome, c’est impossible. »

Ce commentaire m’a fait comprendre à quel point le « déterminisme
génétique » est une idée profondément enracinée. Elle suppose que le résultat d’une mutation délétère ne peut être modifié. En d’autres mots, si vous êtes porteur d’une telle mutation, vous ne pouvez y échapper; votre destin est scellé.

Mais ce n’est pas une bonne façon de penser. J’en ai tiré l’inspiration pour ma recherche sur la résilience, c’est-à-dire la capacité de faire face aux graves conséquences associées à une altération génétique délétère.

Au cours des 50 dernières années, nous avons assisté à un progrès extraordinaire dans l’identification des gènes et des voies biologiques associées à l’autisme. Cependant, nous ne comprenons pas encore comment la même mutation peut avoir des résultats différents. Dans de rares cas, des gens faisant partie de la population générale ou des proches de personnes autistes sont porteurs de mutations de gènes associés à l’autisme, mais ne présentent aucune caractéristique de la pathologie.

Comprendre comment ces personnes résilientes font face aux mutations délétères pourrait fournir des renseignements importants sur la façon dont des patrimoines génétiques et des environnement particuliers contribuent à créer des différences majeures dans les trajectoires développementales et cliniques1.

Caractéristiques diverses:

L’architecture génétique de l’autisme est hétérogène. Chez certaines personnes, une seule mutation peut suffire pour entraîner une condition du spectre autistique. Chez d’autres, l’autisme est plus vraisemblablement dû à l’effet additif de milliers de variants communs, chacun ayant un faible effet.

L’identification des gènes qui induisent un risque d’autisme lorsqu’ils subissent une mutation a fait avancer considérablement notre connaissance des causes possibles de la pathologie. Il s’agit notamment des perturbations dans la production de protéines, du remodelage du complexe protéine-ADN, soit la chromatine, et de la capacité des jonctions neuronales, c’est-à-dire les synapses, à évoluer au cours du temps2.

L’identification de ces gènes a aussi suscité involontairement l’émergence d’une conception simpliste de l’autisme comme étant de nature binaire : soit vous êtes autiste, soit vous ne l’êtes pas. Cette vision simpliste fait l’impasse sur le caractère hétérogène, et les différents degrés de sévérité clinique, de l’autisme.

Qui plus est, les mutations associées à l’autisme ne provoquent pas toujours la pathologie. Certaines mutations ont une pénétrance complète; on peut dire alors que tous ceux qui en sont porteurs sont autistes. Dans d’autres cas, disons que seulement 80 pour cent des gens porteurs de la mutation sont autistes.

Déterminer pourquoi les conséquences d’une mutation varient selon les personnes demeure un défi. Mais le génome peut nous offrir certains indices.

Protection possible:

C’est un fait bien établi que la conséquence d’une mutation peut être supprimée par une autre mutation. Des études sur la levure révèlent que bon nombre de ces interactions inhibitrices se produisent entre gènes appartenant à la même voie biologique3.

Des études génétiques à grande échelle ont permis d’identifier, chez des personnes, des « gènes modificateurs » qui offrent une résilience à l’infection par VIH, à la drépanocytose, aux cardiopathies et au diabète4,5,6,7,8.

Dans le cadre d’une étude pilote, nous avons évalué la proportion de personnes résilientes dans la base de données Simons Simplex Collection, répertoire d’échantillons génétiques provenant de familles dont un enfant est autiste. (La base de données est financée par la Fondation Simons, organisme parrain de Spectrum.) Dans cette analyse, nous avons défini les personnes résilientes comme étant des frères ou des sœurs ou des parents non atteints, porteurs de mutations délétères dans un ensemble de 65 gènes fortement associés à l’autisme9.

Les résultats préliminaires provenant de 1,776 familles révèlent la présence d’une résilience chez 2 à 3 pour cent des membres de la famille de personnes autistes. Le nombre de personnes résilientes est plus élevé pour certains gènes que pour d’autres. Pour un petit nombre de gènes, nous n’avons trouvé aucune personne résiliente. Nous procédons actuellement à la vérification du nombre de personnes résilientes et de personnes atteintes pour chacun des 65 gènes. La prochaine étape consistera à déterminer les facteurs grâce auxquels les personnes résilientes font face à leurs mutations délétères.

Par exemple, des circuits cérébraux sensibles au genre pourraient moduler la fréquence à laquelle les mutations associées à l’autisme et l’autisme sont présents simultanément. Les garçons sont de quatre à huit fois plus susceptibles que les filles de recevoir un diagnostic d’autisme. Il est difficile de comprendre les raisons de cette disparité. Mais une des explications pourrait être que les autres gènes, peut-être même la forme non mutante des gènes modifiés, agissent en tant que modificateurs.

Par exemple, chez les personnes résilientes, certains gènes pourraient être exprimés à des niveaux plus élevés que d’habitude ou être porteurs d’une autre mutation qui atténue les effets de la mutation délétère.

Stimulation de la resilience:

Enfin, l’accès à des traitements de grande qualité pourrait augmenter la résilience. Une étude de 2012 a démontré qu’avec le temps, environ 10 pour cent des enfants atteints d’un autisme grave se sont épanouis et ont fait des progrès considérables10. Un facteur qui distingue ces enfants des autres est que leur famille jouit d’un statut socio-économique plus élevé.

L’accès au traitement a stimulé la résilience chez d’autres pathologies héréditaires. Par exemple, un régime alimentaire sans phénylalanine peut prévenir la déficience intellectuelle associée à la phénylcétonurie, maladie métabolique héréditaire qui peut provoquer une accumulation toxique de phénylalanine dans le cerveau, si ce régime est observé dès les premières semaines de la vie11.

Au fil du temps, de plus en plus de personnes auront accès à leur profil génétique. Même si cette information devait aboutir à des traitements et à des mesures préventives plus efficaces, elle pourrait aussi être source d’angoisses inutiles chez les personnes porteuses d’une mutation délétère.

Une meilleure compréhension des mécanismes qui sous-tendent la résilience pourrait mener à de nouvelles pistes pour atténuer des résultats cliniques graves, mais aussi alléger la charge émotionnelle que peut exercer le dépistage génétique. Et comme Louis Pasteur l’a dit un jour : « Le meilleur médecin est la nature : elle guérit les trois quarts des maladies et ne dit jamais de mal de ses confrères. »

Thomas Bourgeron est professeur de génétique à l’Université Paris-Diderot et chercheur à l’Institut Pasteur à Paris.

References:

  1. Szatmari P. Dev. Med. Child Neurol. 60, 225-229 (2018) PubMed
  2. Bourgeron T. Nat. Rev. Neurosci. 16, 551-563 (2015) PubMed
  3. van Leeuwen J. et al. Science 354, 6312 (2016) PubMed
  4. Chen R. et al. Nat. Biotechnol. 34, 531-538 (2016) PubMed
  5. Cohen J. et al. Nat. Genet. 37, 161-165 (2005) PubMed
  6. Flannick J. et al. Nat. Genet. 46, 357-363 (2014) PubMed
  7. Galarneau G. et al. Nat. Genet. 42, 1049-1051 (2010) PubMed
  8. Philpott S. et al. J. Acquir. Immune Defic. Syndr. 21, 189-193 (1999) PubMed
  9. Abrahams B.S. et al. Mol. Autism 4, 36 (2013) PubMed
  10. Fountain C. et al. Pediatrics 129, e1112-1120 (2012) PubMed
  11. Vockley J. et al. Genet. Med. 16, 188-200 (2014) PubMed

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